jeudi 23 avril 2015

Sortir de la cage des mots


Cet autre matin, je parlais avec une amie. Je ne la connais pas depuis longtemps ni très bien, mais nous avons en commun d’écouter les rêves, de les aimer… et cela nous rapproche plus peut-être que si nous étions allés à l’école ensemble. Sur ce chemin, on se découvre des ami(e)s tous les jours et on touche à ce que l’amitié – âme-moitié – a d’éternel : on se re-connait…

Cette amie m’a rendu un service inestimable. En quelques mots, avec un bon sourire, elle m’a montré comment quelque chose en moi est toujours en train de courir derrière une nouvelle idée, une explication, une compréhension ou une information : le hamster qui tourne dans sa roue. Nous parlions des rêves et de l’importance d’en parler, de faire entendre leur voix, quand elle m’a fait remarquer que bien souvent, nous nous perdons dans des discours « sur » les rêves. Au lieu d’écouter ce que les rêves ont à dire, de les laisser couler en nous, nous informer… nous ajoutons une couche de concepts, d’explications, d’interprétations. Si nous n’y prenons garde, nous nous éloignons alors du rêve, nous en faisons une absurdité manipulable mentalement : nous croyons en être quitte parce que nous avons mis des mots sur le rêve. Ce faisant, nous passons à côté du rêve comme ce promeneur qui ne voit pas la rivière au bord de laquelle il marche tant il est pris dans ses idées, les mots dans sa tête.

A l’inverse, les rêves demandent à être approchés dans le ressenti silencieux des images. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de mots, mais ils se font espacés; il y a de l’espace à l’intérieur dans lequel le rêve peut se déployer. Cet espace est tissé de présence, de conscience ancrée dans le senti de l’instant présent, d’attention au jeu créateur des images du rêve, toujours unique, singulier. Il s’agit moins alors d’interpréter le rêve, d’en tirer un message dans nos mots habituels, que de nous laisser travailler par les images, d’aller au bout des nouvelles possibilités de conscience dont elles sont porteuses. On dit cette approche « féminine » et tenant, selon James Hillman qui en a été un des hérauts, de « la fabrique de l’âme », par contraste avec la démarche « masculine » de l’esprit qui sépare, disjoint, conceptualise et explique. Mon amie et moi convenions qu’il n’est sans doute pas utile d’ajouter à la cacophonie ambiante des théories et grands discours, et que s’il est un baume que les rêves peuvent apporter dans notre monde troublé, il tient plutôt du murmure de la rivière que l’on peut entendre quand on se tait…

Allons donc nous promener au bord d’un rêve sans plus d’explications. C’est un rêve qui n’a pas besoin de commentaire, qui parlera pour lui-même, que rapporte Robert Moss dans Les Iroquois et le rêve chamanique. « Dans ce rêve, je regarde une foule de gens bouche bée et goguenards face à un magnifique lion blanc derrière les barreaux de sa cage. Ils se comportent comme toutes les foules de badauds un dimanche après-midi au zoo, jetant leur détritus à terre, l’air abruti. Ils pensent qu’ils peuvent se moquer sans risque du lion – jusqu’au moment où quelqu’un s’écrie que la porte de la cage est ouverte. Les humains paniquent et s’enfuient en courant pour sauver leur vie. Je pénètre vaillamment par la porte ouverte. Je ne m’effraie pas quand le lion bondit vers moi. Il saute et pose ses pattes sur mes épaules comme un énorme chien affectueux. Le lion veut que je regarde derrière moi pour voir ce qui se passe. En me retournant, je m’aperçois que ce sont les humains, et non les lions, qui sont en cage. La place du lion est dans la nature, en liberté, parmi les possibilités sans limites. Le lion blanc me dit de sa voix profonde et rocailleuse : « Tu vois, les humains sont les seuls animaux qui choisissent de vivre en cage. »

lundi 13 avril 2015

Cercle de rêves

Un cercle de rêves, c’est une réunion de personnes qui se rencontrent pour célébrer un Mystère au sens traditionnel du mot : le Mystère du rêve. En effet, la porte d’entrée dans le cercle est le non-savoir, c’est-à-dire ici l’absence de théories prédéfinies à propos du rêve. Le cercle offre un contenant hermétique au mystérieux déploiement du rêve au travers des intuitions et des questions des participant(e)s. C’est un cercle, c’est-à-dire que, même si je guide le travail, personne n’a de prééminence – au centre du cercle, nous plaçons toujours le rêve qui est travaillé.

Il n’y a pas besoin d’avoir étudié la psychologie ou d’avoir une expérience préalable avec les rêves pour tirer parti du travail qui s’opère dans un cercle de rêves : nous suivons une méthode simple et respectueuse qui permet à chaque personne de participer à partir de ce qu’elle sent, de ce qu’elle est. Chaque participant(e), moi y compris, offre à la personne qui propose un rêve sa résonance à ce dernier sans prétention à une « vérité du rêve ». C’est un jeu créatif qui tisse du sens avec le rêve, et généralement une expérience très révélatrice. Parfois, le travail d’interprétation est prolongé par un exercice complémentaire avec l’imagination, le corps…

Une séance de cercle dure généralement de 2 à 3 heures, avec entre 4 et 10 personnes : il n’est généralement pas possible de travailler plus de 2 ou 3 rêves. Mais il n’est pas rare qu’une personne trouve des réponses à son propre questionnement en écoutant le rêve d’autrui – en observant comment les rêves portent des images et des problématiques tout à la fois toujours singulières et cependant communes, nous touchons du doigt l’inconscient collectif sans en faire un concept : c’est une réalité vivante, agissante dans le cercle.

Le cercle de rêves n’est pas un lieu de psychothérapie de groupe, non plus qu’une formation au travail avec les rêves. C’est un laboratoire dédié à l’expérimentation directe. Les deux prémisses que je propose à cette expérimentation sont les suivantes :

– Nous sommes moins là pour « travailler le rêve », au sens de torturer le rêve (l’étymologie de travail renvoie au latin triparium, qui désigne un instrument de torture) que pour nous laisser travailler par le rêve, les images. Si travail il y a, qu’il soit plutôt celui de l’accouchement de quelque chose de nouveau, en douceur, avec attention.

– On ne peut approcher le rêve que dans l’instant présent, en étant bien ancré dans le senti des émotions et du corps, ici et maintenant. C’est pourquoi l’ouverture d’un cercle de rêves inclut toujours un temps de méditation, de retour au silence car c’est à partir de l’intérieur, d’une conscience attentive à ce qui se passe en dedans, que nous nous préparons alors à écouter des rêves.

Cela fait maintenant 7 ans que j’anime des cercles de rêves. De ce qui était des réunions conviviales entre ami(e)s autour des rêves a émergé une forme qui est désormais un de mes outils privilégiés de travail. Dans la première année, nous avons discuté et défini un cadre pour le cercle, tenant en des principes d’éthique et de sécurité du travail du rêve que je vous livre ci-dessous. Déjà le cercle y était défini comme visant « à offrir un contenant sécuritaire au déploiement du sens qui cherche à s’exprimer dans le rêve, et par le processus intérieur propre au rêveur. Un principe guidant nos travaux pourrait être le simple respect de ce que chaque rêve ainsi que chaque personne ont d’irréductiblement unique. La sécurité repose sur la présence consciente de chacun(e) des participant(e)s qui tisse, dans le groupe, un filet de neutralité bienveillante offert à l’inconscient. L’attitude intérieure importe là plus que le savoir, l’expérience ou quelque compétence. »

Éthique et sécurité du travail du rêve

·        Respect de soi et des autres, du rêve et de ce qui est présent.

Éviter la parole qui « tu… », le jugement et la critique, la polémique.

·        Responsabilité de mes sentis et pensées, de ce que j’exprime et n’exprime pas.

Parler au « je… », une émotion ou image valant toujours plus que mille mots.

·        Écoute, écoute…

En présence d’un rêve, nous gagnons plus à écouter comment il résonne en nous qu’à le discuter.

·        Accueil de ce qui est là, de l’inconscient et de l’inattendu.

Offrir neutralité bienveillante, conscience et compassion à tout ce qui se présente, incluant les peurs.

·        Protection plutôt que résistance

Ne rien forcer, même dans une question, et honorer les résistances comme signalant la vulnérabilité.

·        Vigilance devant l’inconscient.

Attention aux projections, à l’inflation et aux envahissements par l’inconscient.

·        Au service du processus intérieur de la personne qui offre un rêve.

Se pousser du chemin, ouvrir un espace sécuritaire en contenant en conscience ce qui advient.

·        Conscience du sacré

Demander permission et protection, honorer la Source des rêves qui nous réunit et favorise le travail.

·         Confidentialité

mercredi 1 avril 2015

La juste courbure


Un ami m’a demandé ce que je pensais de ce rêve qui lui était venu :

J’apporte des armes en Syrie. Dieu me dit : pour qui sont ces armes ?
- Pour les rebelles qui luttent pour leur liberté.
- Non , me répond Dieu d'une voix forte. Tu dois aimer les deux camps, si tu donnes des armes, donnes-en aux deux camps. Ils sont tous les deux enfants de Dieu.

Avec sa permission, je vous partage ce que je lui ai dit. J’ai salué le fait que Dieu lui parle dans ses rêves. C’est quelque chose que Dieu faisait assez souvent en d’autres temps. Jung cite l’histoire de ce rabbin qu’on interrogeait sur pourquoi plus personne ne voit Dieu alors qu’il est si souvent apparu aux hommes autrefois. Le rabbin répondit: « parce que plus personne ne se courbe assez bas ». Dieu se fait discret ces temps-ci, même si on parle beaucoup de lui dans les médias. Mais voilà donc qu’il cause à des individus dans leurs rêves, et cela n’est en fait pas si rare...

Le rêve n’a pas besoin d’être interprété : il porte son message explicitement. Il invite à l’amour inconditionnel pour toutes les parties prenantes du conflit. La Syrie peut tenir ici de la géographie intérieure comme extérieure ; à ce point de notre histoire, c’est une tragédie emblématique de l’état de notre monde. Il n’y a pas de jugement. Tout le monde est enfant de Dieu. Même… ? Oui, même eux.

À noter que Dieu est neutre quant à savoir s’il faut ou non livrer des armes. C’est notre liberté de croire, ou non, que les armes pourraient améliorer la situation – Dieu n’a rien à redire à cela. En livrant des armes, le conflit est attisé et cela ne semble pas préoccuper Dieu. Mais tant qu’à en livrer, il faut être impartial comme le soleil qui brille dans le ciel aussi bien pour les gentils que pour les méchants. C’est là que j’ai mis mon ami en garde : tout cela, c'est très bien, c'est la voie de l'Amour qui s’ouvre à toi. Mais cela présente un danger: nous sommes humains, et en tant qu'humains, il est normal que nous prenions parti - le danger là est de se croire au-dessus de la condition humaine.

Un exemple pour vous illustrer cela : il y a quelques jours à Québec, un policier a tiré une grenade lacrymogène à bout portant au visage d’une jeune manifestante. Quand j’ai vu les images de cet incident, mon sang n’a fait qu’un tour – ç’aurait pu être ma fille – et j’ai bouilli de colère. Si c’était mon rêve, il me commanderait de prendre conscience que le policier comme la manifestante sont des humains qui ont peur et qui souffrent, que je me projette dans la situation avec mes propres peurs, etc. Cependant, si je refoule ma colère pour essayer de n’être qu’amour autant pour le policier que la jeune fille, non seulement cela ne marchera pas mais je tombe dans le piège de l’idéalisation spirituelle. Il me faut commencer par aimer ma colère, mes émotions… et alors peut-être pourrai-je introduire là cette neutralité bienveillante de la conscience envers toutes les parties concernées, m’incluant moi-même puisque cette situation me touche, me fait réagir. C’est en cela que la Syrie peut être intérieure à chacun, aux prises avec sa propre tyrannie, ses rebelles démocrates et ses fous de Dieu qui veulent imposer leur loi…

Et fait, ai-je rigolé pour conclure, tout rêve dans lequel Dieu s'exprime directement est éminemment suspect d’une inflation du rêveur, c’est-à-dire que ce dernier risque fort de se prendre au sérieux, de penser qu’il l’a, l’affaire… à moins de se courber vraiment très bas. Cela implique de se tenir très près du senti, des émotions et du corps, de la terre, de l’humus – il faut se rapprocher de l’âme, tout en bas, pour trouver l’attitude juste que symbolise Dieu dans ce rêve : la neutralité de la conscience avec ce qui est, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.