lundi 12 mai 2014

Quatre perles de jade

Daniel Odier, qui compte pour moi parmi les enseignants vraiment pertinents de notre époque, racontait il y a quelques années dans un atelier que c’est dans un rêve qu’il s’est éveillé. Cela m’a interloqué et lancé dans une recherche qui m’a amené à me rendre compte qu’en fait, c’est souvent en rêve que le voile se déchire. J’ai déjà parlé du rêve où Jung a rencontré le méditant qui le rêvait ; pour qui sait entendre les rêves, il y a là l’équivalent onirique du coup de bâton du maître zen dont parlent tant d’histoires. Un autre exemple est Betty, qui a traversé le rêve et rapporte admirablement comment celui-ci s’est dissipé… au travers d’un rêve[1]. Je n’en suis pas là mais je dois pour ma part témoigner d’un rêve qui a allumé une petite lumière brûlante dans ma vie. La seule illumination qui vaille pour moi depuis lors est celle qui survient quand on réalise que le fait d’aimer est un soleil qui éclaire tout en dedans. Aimer, non pas d’un amour nécessairement doté d’une majuscule et magnifié ou inconditionnel, désincarné à force d’être spirituel, mais bien le « crazy love, messy love »[2] qui nous tient « en vie ». Jung le savait bien, qui disait que l’amour seul nous rend capable de tout donner.

Voici le contexte. J’étais dans une retraite de méditation Vipassana. J’en profite pour témoigner de toute ma reconnaissance à S. N. Goenka que je considère comme un véritable bienfaiteur de l’humanité car il a rendu accessible gratuitement à des milliers d’individus une forme de méditation qui conduit directement à la pleine conscience. Vous avez bien lu « gratuitement ». C’est la mort du « business sacré ». À mes ami(e)s en recherche spirituelle qui sont prêt(e)s à dépenser quelques milliers de dollars pour aller apprendre la méditation, je propose désormais de remiser leur chèque sur une étagère et d’aller s’offrir le cours de méditation Vipassana. Le prix à payer est autre qu’en argent : il faudra passer 10 jours en silence complet, se lever très tôt pour méditer, et risquer donc de perdre pied, de devoir plonger dans les profondeurs. Bien sûr, il n’y a jamais rien de garanti : j’en connais qui, même avec un tel régime, ont trouvé le moyen de « marcher sur l’eau », mais tant qu’à s’offrir une expérience spirituelle, celle-ci est vraiment de valeur et on peut utiliser l’argent pour des choses qui peuvent s’acheter…

Une telle retraite n’est jamais une partie de plaisir, sinon c’est qu’on n’a plus rien à faire là et qu’on est aussi bien d’aller méditer sur la place du marché. Il y a toujours des moments où on a envie de prendre ses jambes à son cou, et où des conflits intérieurs remontent. C’est justement parce qu’il n’y a plus aucun moyen d’entretenir des conflits à l’extérieur que la boue en dedans peut revenir à la surface avec autant de force. Pendant ces 10 jours, il est interdit d’écrire quoi que ce soit, et cela m’a lancé un défi supplémentaire qui tenait dans ma détermination à me souvenir de tous mes rêves. C’est sans doute la meilleure expression que j’aie jamais trouvée de ma démarche que d’arriver à tenir ainsi le silence méditatif complet en même temps que l’attention entière aux mouvements intérieurs. Il est clair pour moi depuis lors que le travail des rêves sans pleine conscience risque fort de se perdre dans des méandres intellectuelles, tandis que la méditation sans attention scrupuleuse aux mouvements de l’âme a toutes les chances de favoriser une fuite de la réalité tant extérieure qu’intérieure.

Au cinquième jour, j’ai rencontré une difficulté philosophique qui s’est avérée décisive. La retraite est ponctuée d’enseignements par S. N. Goenka portant sur tout ce qu’il y a à comprendre pour soutenir la démarche. Or, son discours typiquement bouddhiste sur dukkha, la souffrance, a commencé à m’irriter profondément – avec les bouddhistes, il n’y a qu’une motivation : échapper à la souffrance, en sortir à tout prix. Partant de là, tout le reste n’est évidemment qu’illusion nourrissant des attachements qui finiront par nous faire souffrir. Ce soir-là, je suis allé me coucher en argumentant violemment avec le Bouddha en personne. Je lui disais : « Bien sûr, je parie que tu fais partie de ces gens qui disent que tomber amoureux est une maladie ! Il n’y a qu’à voir comment tu as abandonné ta femme et ton fils à peine né pour aller chercher l’illumination. Et comment tu as accueilli Yasodharā quand elle est finalement venue te retrouver ! Eh bien tu vois, moi je préfère être lucidement malade… » . Croyez-le ou non, il n’a rien répondu. J’avais juste l’image d’un grand sourire patient en dedans. C’est alors qu’est survenu le rêve :

Je suis un fils d’une famille très pauvre, tellement pauvre qu’il n’y a dans la cuisine où je me tiens qu’un poêle à bois. La maison elle-même est une cahute de terre noire. Il y a là une femme que je reconnais pour être ma mère sans qu’elle n’ait rien à voir avec ma génitrice dans la « vraie vie » : elle est petite avec des cheveux noirs. Ce constat induit un semblant de lucidité dans le rêve : je me souviens vaguement avoir une autre mère, je sais que je rêve sans y prêter vraiment attention. Car je suis fasciné : j’ai reçu un cadeau extraordinaire. La princesse Lucie, ma bien-aimée, m’a donné un petit sachet dont je fais maintenant rouler le contenu dans ma main ouverte. Il s’agit de quatre petites perles oblongues de couleur verte avec des taches brunes. Je sais que c’est du jade. Je suis infiniment heureux, j’en ai des larmes aux yeux. Avec les perles, il y a une petite pelote de fil blanc. Je comprends que je dois enfiler les perles sur le fil et les porter sur mon cœur. Je me sens soudain immensément riche et je dis ma bonne fortune à ma mère. Celle-ci me répond qu’elle va maintenant aller sur le marché pour nous chercher à manger, et qu’elle ramènera du caviar !

Je me suis réveillé complètement émerveillé par ce rêve, vibrant de reconnaissance. J’étais ébloui, comme si une étoile s’était décrochée du ciel et m’était tombée dessus. Tous les sentiments rencontrés dans le rêve sont restés intensément vivant au cours des jours qui ont suivi. En prenant le temps de m’asseoir avec lui, j’ai compris qu’il répondait à l’interrogation que j’avais lancée au Bouddha. En substance, il en ressort en contrepoint que Gautama était un prince, un fils de roi qui est né dans l’abondance. Non pas seulement l’abondance matérielle, mais aussi l’abondance spirituelle de l’Inde. Le rêve me montre que je me situe exactement de l’autre côté de la roue car je suis né dans un contexte marqué par une extrême pauvreté spirituelle, celle de notre modernité marquée au fer rouge du nihilisme philosophique. Osho signale que pour acheter la pauvreté, il faut être immensément riche, comme l’était Gautama, et cela vaut pour toutes les formes de renoncement. Or le rêve dit clairement que ce n’est pas moi qui est riche, mais que c’est mon Anima, mon féminin intérieur. C’est non seulement ma bien-aimée mais c’est une princesse, c’est-à-dire qu’il est clairement question d’un principe, d’une énergie fondamentale, qui plus est donc fille de roi, c’est-à-dire directe héritière du Soi.

Bien sûr, Lucie existe. C’est une femme en chair et en os, dont j’ai été éperdument amoureux. Il est impossible pour un homme d’entrer en relation avec son Anima sans qu’elle soit projetée sur une femme réelle, et il en va bien évidemment de même pour une femme avec son Animus, son masculin intérieur. C’est que l’Anima et l’Animus ne sont pas des abstractions mais des réalités vivantes. La Licorne, dont je recommande chaudement en passant le blog « grands rêves[3] », me faisait remarquer que c’est une des erreurs de Jung que d’avoir fait de ces entités que sont l’Ombre, l’Anima et l’Animus des concepts. Je ne suis pas certain que ce soit l’erreur de Jung mais c’est certainement l’erreur de ceux parmi les jungiens qui font de ces réalités des objets intellectuels. Or, c’est justement un des tours de l’intellect que de nous faire croire qu’on en a fini avec l’Anima parce qu’on croit comprendre de quoi il s’agit. Que peut-on comprendre à propos de l’amour ? Juste qu’il nous emmène plus loin qu’on ne l’aurait jamais imaginé. Jung disait en riant que lorsqu’un homme renonce à prendre son téléphone pour appeler une femme parce qu’il sait que l’Anima est en jeu[4], il passe à côté de la vie, de l’essentiel !

J’ai longuement tourné autour des quatre perles de jade pour en trouver la signification symbolique. Ce sont là des perles de pierre, et la pierre symbolise volontiers la vérité car elle semble avoir une permanence confinant à l’éternité. C’est pourquoi nous mettons des pierres tombales dans les cimetières : nous tentons de conférer une éternité à la mémoire des morts. Ici, la pierre est de jade avec des inclusions brunes ; le vert renvoie au cœur, à la guérison, au printemps, au renouveau tandis que le brun évoque la terre. Or la méditation Vipassana ne laisse guère de place à la réflexion analytique car elle cultive l’attention aux sensations et, surtout, à l’impermanence des sensations. Les images du rêve ont donc fait leur chemin au travers de cette présence à l’instant présent du corps. Au dernier jour du cours, il était clair pour moi que le rêve parlait de la pratique de la méditation et m’invitait à tirer toutes les conséquences de cette impermanence. Le chiffre quatre symbolise la totalité, suggère la complétude et le cercle accompli. La pratique se déploie donc en quatre perles philosophiques :

Rien n’est permanent. Tout ce qui a un début a aussi une fin. Tout ce qui est fait se défait puis se refait.

Rien n’est solide. Il n’y a que processus et énergie qui coule, pas d’objet définitivement circonscrit.

Rien n’est séparé. Au niveau énergétique qui est aussi celui de la psyché sous-jacente à la conscience, il n’y a pas de séparation mais participation à l’unité de l’Être : tout est relié à tout.

Il n’y a pas de limites. L’espace est ouvert et la réalité est créatrice sans cesse de nouvelles formes et configurations. En deçà des apparences de permanence, de solidité et de séparation, il y a l’Illimité.

Le fil blanc sur lequel je dois enfiler ces perles est un fil conducteur. J’ai appris récemment qu’en sanscrit, un fil se dit sutra, terme qui désigne en particulier les sermons du Bouddha. Je me suis réconcilié avec ce dernier au travers de ce rêve mais je ne suis pas devenu pour autant bouddhiste car il ne sert à rien d’enfermer la vie de l’âme dans une doctrine. Avec le temps, je me suis rendu compte que ce rêve me faisait obligation intérieure de porter le collier qui m’était ainsi offert, c’est-à-dire non seulement de chercher comment vivre les principes de sagesse que symbolisent ces perles, mais aussi d’oser en parler. Mon fil d’Ariane à moi est le rêve et ce blogue est une façon pour moi d’enfiler sur ce fil les perles de jade de la pratique méditative. Car bien que ces affirmations soient philosophiques, c’est-à-dire marquées au sceau de l’amour de la Sophia, elles ne prêtent pas en réalité à discussion intellectuelle ; ce sont, comme toutes les perles de sagesse, simplement des invitations à pratiquer…

Il y a, quant à ce rêve, un dernier point à préciser ici. Vous aurez remarqué qu’il tient du conte de fées, ce qui est la signature d’un rêve archétypal : on est loin de la dimension personnelle et de notre quotidien. Il y a là une précieuse indication quant à la façon de porter un tel « grand rêve » : il s’agit de ne pas le prendre personnel. Le rêve le dit bien : c’est un cadeau qui m’est fait, et cela n’a rien à voir avec un quelconque mérite que je pourrais m’attribuer; il m’est donné par la grâce de l’amour de l’Anima, et c’est celle-ci que je cherche à honorer en en parlant. Cette dimension impersonnelle est non seulement la sauvegarde du rêveur, car il serait dangereux de se prendre au sérieux avec un tel rêve, mais aussi celle du mystère de l’Amour. Ainsi Mme Von Franz souligne-t-elle dans un article remarquable[5] que « tout se passe comme si, dans « l’au-delà », il n’y avait qu’un couple divin, Shiva et Shakti, unis dans une étreinte éternelle ». En d’autres termes, la déesse se dissimule sous les traits de toutes les femmes, et il convient de la différencier de chacune d’entre elles, au risque sinon de tout mêler et de ne plus voir l’être humain qui porte la projection. C’est à ce prix d’un effort de conscience qui extrait la dimension impersonnelle de ce que nous vivons comme étant le plus personnel, que l’amour, au lieu de nous aveugler, ouvre le chemin.



[2] « Amour fou, désordonné ». Voir le merveilleux poème de Courtney A. Walsh : http://inhabitude.org/post/31497045092/dear-human-youve-got-it-all-wrong-you-didnt
[4] Ce que je dis là vaut bien sûr pour les femmes et leur Animus, et ne se limite pas aux relations hétérosexuelles. Il s’agit du sexe psychologique, c’est-à-dire du genre auquel on s’identifie, et en contrepoint, de nos relations avec l’Autre, qui nous complète: notre partenaire contrasexuel(le).
[5] « Quelques aspects du transfert », dans Psychothérapie,l’expérience du praticien.

18 commentaires:

  1. "Mon expérience médicale aussi bien que ma vie personnelle m'ont inlassablement remis en face du mystère de l'amour, et je n'ai jamais été capable d'y apporter une réponse valable.
    Comme Job, j'ai dû mettre ma main sur ma bouche... - J'ai parlé une fois...je ne répéterai pas; - deux fois...je....n'ajouterai rien."
    Il y va ici de ce qu'il y a de plus grand et de plus petit, de ce qu'il y a de plus éloigné et de plus proche, de ce qu'il y a de plus élevé et de plus bas, et jamais l'un de ces termes ne peut être prononcé sans celui qui est son opposé.
    Il n'est de langue qui soit à la mesure de ce paradoxe...
    (...)
    Nous sommes au sens le plus profond, les victimes ou les moyens et les instruments de "l'amour cosmogonique"."
    .
    C-G Jung "Ma vie"

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    1. Oui. Exactement. Merci pour ce commentaire, chère Licorne, qui fait ressortir précisément ce à quoi je pensais quand j'ai écrit ce billet de blogue. Il me semble que c'est d'ailleurs une spécificité de la "voie jungienne" (avec Rumi, le tantra... :) que d'honorer l'amour humain comme voie de réalisation. Ce cher Jung en savait quelque chose de première main, entre la fondation de sa maison (Emma Jung) et sa fragrance (Toni Wolf). Ce n'est pas un chemin facile d'ailleurs, comme en témoigne ses propos que rapporte Von Franz: "Le problème de l’amour est difficile au point que vous pouvez vous estimer heureux si, à la fin de votre vie, personne n’a fait naufrage à cause de vous."

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    2. Non, ce n'est pas un chemin facile...le choix de vie qu'avait fait Jung réclamait certes un certain "courage" de sa part. Mais sans doute encore bien plus du côté de ses deux "amours"...
      Il semble que Toni, toute "fragrance" qu'elle soit, en ait vite "perdu le sourire"... :-)

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    3. Je suis bien d'accord avec ce constat. Cela n'a pas été facile non plus pour Emma. Imelda Gaudissart a publié un très beau livre sur cette dernière, qui a été initié par un rêve de l'auteure où elle recevait un message d'Emma: "dites-leur que j'ai beaucoup souffert". Par ailleurs, la biographie très approfondie de Jung par Deidre Bair fait ressortir que Jung est tombé malade, jusqu'à friser la mort, à chaque fois qu'Emma a décidé de le quitter car elle n'en pouvait plus de cette situation triangulaire.

      Ces trois là sont passés par toute une alchimie, au feu de leur passion. Mais n'est-ce pas tout le jeu de l'amour finalement ?

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  2. Bonjour,

    Voici quelques premières réflexions que m’inspire ce rêve "vu de ma fenêtre" :

    La cuisine, dans un rêve, évoque le laboratoire de l’alchimiste, ce lieu intime chez le rêveur où s’opèrent ses propres cuissons et transformations alchimiques. L’humble demeure est de terre noire, il s’agit sans doute de "la terre noire d’Égypte", la terre de l’Alchimie.
    La famille alchimique est pauvre dans le sens où la voie de l’alchimie occidentale ne brille pas beaucoup "au firmament de la spiritualité contemporaine" si on la compare au lustre actuel et à la grande vogue en Occident des spiritualités venues d’Orient, tel le Bouddhisme, par exemple. -Le rêveur avait sans doute conscience de cette modeste situation de l’alchimie occidentale face au grand déploiement des voies orientales, qui peut-être, l’impressionnait un peu. Le rêve, la suite du rêve, viendrait alors compenser ce point de vue un peu "intimidé".
    La mère, petite, aux cheveux noirs, qui n’est pas la mère de chair du rêveur, n’est-elle pas Mère Alchimie régnant dans sa maison et veillant à l’entretien et au bon réglage du feu (le poêle/athanor) en vue de la juste cuisson ?
    Dans cette pauvreté et ce noir de la terre chymique, dans le secret d’une alchimie sans lustre, dans le creuset d’un humble et obscur labeur, Lucie fait briller la lumière de son nom (latin lux-lucis, lumière) et de sa nature : de la relation d’amour avec le féminin en lui le rêveur reçoit quatre précieuses perles de jade. Le rêve semble donc souligner la valeur, pour un occidental, de la voie alchimique, voie des images, voie humide, voie des rêves et des imaginations vraies, voie de la relation cultivée avec le féminin de l’être, face à la voie orientale de la méditation sans images visant à la cessation de toute souffrance. La famille d’esprit ou famille spirituelle du rêveur serait donc bien la "famille alchimique" d’occident.

    Amezeg

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    1. Merci Amezeg pour cette amplification remarquable ! Je dois dire que je suis comblé. J'ai éprouvé une grande résistance à publier ce rêve, en même temps que quelque chose m'en faisait nécessité intérieure, car j'avais le sentiment d'exposer quelque chose de précieux, me demandant comment il serait accueilli. Je craignais que cette exigence intime de le mettre sur la table ne dénote finalement une certaine inflation. Or la lecture de tes commentaires, particulièrement de celui-ci, ainsi que la résonance que lui donne la Licorne, m'éclaire sur ce qui réclamait là de se mettre à jour et m'ouvre des perspectives que je n'avais pas soupçonné. Oui, bien sur... Mère Alchimie ! Mais comment ai-je donc pu passer à côté de cela ? :)

      J'avais choisi le pseudonyme de Lucie en conscience d'évoquer la lumière indicible du féminin mais je n'avais pas vu le lien avec la terre noire d'Égypte ni avec le laboratoire et l'athanor. Tes mots sur la valeur pour l'occidental que je suis de "la voie alchimique, voie des images, voie humide, voie des rêves et des imaginations vraies, voie de la relation cultivée avec le féminin de l’être" ont soulevé toute une émotion en moi, un profond élan de reconnaissance. Ah ! Je suis donc bien heureux d'avoir osé publier ce rêve touchant à l'intimité de mon processus intérieur car je vérifie ainsi une fois de plus l'adage de ce bon Nicolas Flamel : de la discussion jaillit la lumière !

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  3. Le rêveur reçoit de Lucie, sa bien-aimée, quatre perles de jade.
    Le chiffre quatre évoque la terre : « Le quatre symbolise le terrestre, la totalité du créé et du révélé. Cette totalité du créé est en même temps la totalité du périssable.», lit-on dans le Dictionnaire des Symboles de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant.
    Tandis qu’il s’interrogeait sur la valeur possible de la souffrance causée par les implications dans le monde et par les relations, en particulier amoureuses, vécues dans le monde, le rêveur semble donc recevoir du principe féminin en lui une invitation à aimer "le terrestre" et l’apparente imperfection du terrestre, comprenant la part de souffrance associée à cette imperfection ; car il lui faut relier les quatre perles par "un fil de sens" et les porter sur son cœur. L’anima l’invite ainsi à donner sens à la souffrance inévitable liée à la condition humaine incarnée, à l’accepter afin de pouvoir l’aimer comme part de la totalité vécue.
    Ces quatre perles de jade précieux sont le trésor caché dans la souffrance de l’incarnation, trésor que l’homme ne découvrira que par l’amour* et par l’anima qui, pour lui, en détient le secret.

    Amezeg

    * Voir le commentaire laissé par La Licorne.

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    1. Je souscrit entièrement à ce que tu amènes là. Oui, en effet, il semble qu'il n'y ait que l'amour pour donner sens et valeur à la souffrance de l'incarnation. Et comme tu dis, accepter cette dernière pour "pouvoir l'aimer comme part de la totalité perdue." Ainsi l'anima porterait à l'homme, comme l'animus à la femme, la seule grâce que nous pouvons espérer et qui cependant "rachète" tout et "justifie" cette souffrance - la rétablit dans sa justesse.

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    2. Bonjour Jean,

      Je souhaite préciser que dans mon commentaire j’ai noté « pour pouvoir l’aimer comme part de la totalité VÉCUE » et non pas « comme part de la totalité PERDUE » comme tu l’as retranscrit dans ta réponse.
      À mes yeux, la totalité correspondant à ce que chacun peut vivre selon les données de vie qui lui sont propres individuellement est différente de ce qu’est "la totalité perdue" dont on ne sait, finalement, pas grand chose.

      Amezeg

      P.S. je me suis encore embrouillé dans les places des commentaires... :-)

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    3. Merci Amezeg pour cette précision. Mmmh ! Je trouve que j'ai fait là un beau lapsus en retranscrivant cette phrase: il va falloir que je prenne le temps de regarder de plus près ce que j'ai perdu de ma totalité vécue pour m'embrouiller ainsi :-)

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  4. « Je me sens soudain immensément riche et je dis ma bonne fortune à ma mère. Celle-ci me répond qu’elle va maintenant aller sur le marché pour nous chercher à manger, et qu’elle ramènera du caviar ! »

    Le marché est un lieu ouvert aux échanges nourrissants de la vie quotidienne ordinaire, au "commerce" avec les autres. L’alchimie (Mère Alchimie) fait son marché, trouve les ingrédients du Grand Œuvre dans le cheminement* quotidien et dans les échanges, Pour que les produits de ce marché du quotidien ordinaire soient nourrissants, soient productifs pour l’œuvre, il faut sans doute que l’alchimiste ait reconnu qu’il n’y a "qu’à vie art" : caviar.
    L’art de la transmutation alchimique consiste à changer en or le plomb et la grisaille du quotidien ordinaire, c’est uniquement à la vie vécue dans toutes ses dimensions, que s’applique cet art. « Nul ne peut s’individuer au sommet de l’Éverest. », disait Jung. La voie de la réalisation de Soi, pour un homme d’Occident, passerait donc davantage par la transmutation de la vie ordinaire vécue « dans le monde », plus que par une retraite méditative "hors du monde".
    * Le mot "marché" fait aussi bien sûr penser au fait de marcher, plutôt que de s ‘asseoir pour méditer.

    Mais le caviar que se propose de mettre au menu Mère Alchimie me suggère encore une autre lecture. Cavum, cavi, en latin, signifie cavité, trou. Symboliquement, c’est le Yin, le Réceptif, la Terre, le Féminin. Le cavi- ar(s) serait l’art du creux (la cave est un creux dans la terre), l’art du Yin, ou l’art de cultiver la relation avec le Yin, avec le féminin en soi. Ce qui, pour un homme passe par la relation avec la femme concrète, au dehors.

    Amezeg

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    1. Oh ! Décidément quelle profondeur tu me permets d'envisager là. J'étais resté avec le fait que le caviar est fabriqué avec des oeufs de poisson, et quel poisson puisqu'il s'agit de l'esturgeon, symbole de fortune que les Romains frappaient sur leurs pièces de cuivre. Or le poisson est aussi bien connu comme symbole du Soi, de la totalité vivante dans les profondeurs. Mais la perspective du caviar renvoyant au cavum et donc encore une fois au réceptif, au Yin, élargit encore la portée de l'image. Quant à ce qu'en dit la langue des oiseaux, comme quoi il n'y a qu'à vivre l'Art, j'en reste sans mots.

      J'avais à l'esprit en tournant autour de ce rêve les mots de Jung sur l'individuation qui ne peut se réaliser au sommet de l'Éverest, ni dans l'isolement d'une retraite méditative. Tes commentaires précédents sur la connotation alchimique du rêve et la transmutation du plomb de la souffrance enrichissent encore cette réflexion qui ramène à la nécessité, comme creuset du travail, de la relation.

      Quant à la marche que tu évoques, et qui consiste finalement en accepter de vivre la vie avec ses aléas en mettant un pied devant l'autre, cela m'évoque le très beau livre de Jean-Yves Leloup "l'assise et la marche", qui me semble être une des plus belles introductions que je connaisse à l'attitude méditative. Il en ressort en particulier que l'assise et la marche sont complémentaires comme, dans la respiration, l'inspiration et l'expiration...

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  5. Jean,

    Tu écris, dans ton introduction décrivant le contexte dans lequel t’es échu ce rêve, qu’ « Une telle retraite n’est jamais une partie de plaisir, sinon c’est qu’on n’a plus rien à faire là et qu’on est aussi bien d’aller méditer sur la place du marché.»
    C’est assez remarquable car il me semble que ce rêve t’invite/t’invitait, précisément, à "aller méditer sur la place du marché ", c’est à dire à reconnaître, davantage encore, la valeur du vécu quotidien ordinaire comme aliment de l’individuation et de la réalisation de Soi. Sans refuser d’y prendre éventuellement du plaisir, car celui-ci ne nuirait pas à cette réalisation...le caviar a la réputation d’être un mets savoureux...

    Amezeg

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    1. Oui, en effet, j'y ai entendu cette invitation à aller méditer sur la place du marché et à y prendre du plaisir. Il y a aussi me semble-t-il un rappel à l'abondance savoureuse de la vie pleinement vécue...

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  6. Erratum : " ...le contexte dans lequel t’EST échu ce rêve..."

    Amezeg

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  7. « Daniel Odier, qui compte pour moi parmi les enseignants vraiment pertinents de notre époque, racontait il y a quelques années dans un atelier que c’est dans un rêve qu’il s’est éveillé.» dis-tu, Jean.

    J’ai découvert ce matin sur le site (ou blog) de Daniel Odier * le texte d’un entretien intitulé « LA PASSION D’ÊTRE ». En lisant ce très intéressant témoignage, j’ai été frappé par les étroites similitudes existant entre l’enseignement donné par la voie tantrique et ce qui me semble être l’enseignement proposé par le rêve des "Quatre perles de jade".
    La voie tantrique se vit sans renoncer au monde, sans pratique de méditation intensive ; la place reconnue au féminin de l’être et aux femmes y est essentielle ; les plaisirs, les passions et les désirs y sont reconnus comme faisant partie du chemin de vie et d’accomplissement.

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    Je cite DANIEL ODIER :

    « Notre forme de yoga nous apprend à jouir des plaisirs simples................. La première étape est donc de restaurer toutes ces fonctions, de retrouver notre goût à la vie, d'être intégralement disponible à la vie, avec tous nos sens, nos désirs et passions. »

    « Ce n'est pas un mouvement religieux contrairement à la plupart des voies mystiques mais une voie spirituelle complètement laïque. Donc les maîtres tantriques sont des laïques, des gens qui depuis toujours avaient des métiers: c'étaient des paysans, des potiers, des charpentiers, des électriciens, des institutrices, des prostitués, des brigands etc., donc des personnes qui avaient une activité sociale bien définie et qui ne l'abandonnaient pas forcément pour enseigner. »

    « Ainsi, il n'y a jamais eu cette tendance chez les tantriques à renoncer au monde et à se retirer dans les monastères. Ils ont bien compris ce phénomène d'absence à la réalité dans les quêtes spirituelles traditionnelles. Le yoga tantrique est une voie simple dans laquelle l'être humain choisit comme champ de pratique la réalité quotidienne, sans renoncer à quoique ce soit, simplement en touchant complètement le monde. Quitter quelque chose avant de l'avoir eu crée une sorte de schizophrénie, on ne sait pas où l'on est. »

    « Notre forme de yoga nous apprend à jouir des plaisirs simples................. La première étape est donc de restaurer toutes ces fonctions, de retrouver notre goût à la vie, d'être intégralement disponible à la vie, avec tous nos sens, nos désirs et passions. »

    « Et plus nous trouvons plaisir à la simple réalité telle qu'elle se présente à nous de seconde en seconde, moins notre joie ne dépend de circonstances exceptionnelles. Cela nous rend incroyablement indépendants des attentes que nous avons de la vie. Et ce plaisir de l'instant, rien ni personne ne peut nous l'enlever. C'est ça le secret tantrique: entrer en communication profonde avec la réalité de notre vie telle qu'elle est. »
    « ...........Donc il y a vraiment une reconnaissance du féminin, de l'énergie féminine.
    Au-delà de ça, il y a l'idée que le yoga nous mène vers quelque chose d'androgyne. On atteint un état où le féminin et le masculin sont en parfaite harmonie. Alors on ne se définit plus en tant qu'homme ou femme, mais on est complet. D'ailleurs, autrefois ou même encore maintenant, il y a des maîtres tantriques qui s'habillent de l'autre sexe: des hommes qui portent des vêtements de femmes et des femmes qui portent des vêtements plutôt masculins pour bien indiquer qu'ils ont rejoint la complétude. »
    Daniel Odier - http://www.danielodier.com/french/frpassion.php
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    Amezeg


    *http://www.danielodier.com/french/index.php

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    1. Et encore un grand merci, Amezeg ! Là, tu m'as percé à jour car j'avais choisi de voiler mon intérêt profond pour la voie tantrique et surtout le fait que Lucie est ma partenaire spirituelle sur ce chemin, ma Shakti comme on dit dans ces milieux - l'équivalent de la Soror Mystica des alchimistes. J'avais, pour rendre justice tout de même à cette source d'inspiration pour moi inépuisable, choisi simplement d'évoquer Daniel Odier au commencement, et les mots de Von Franz sur l'union éternelle du dieu et de la déesse en conclusion. Un autre clin d'oeil était dans le choix de l'image qui est typiquement tantrique...

      Il se trouve en outre qu'il y a toujours débat dans la spiritualité orientale entre l'austérité, en particulier bouddhique, et la pure spontanéité des tantrikas. Il ne m'avait pas échappé que ce rêve était bien une réponse résolument tantrique de ma psyché à l'austérité méditative bouddhique à laquelle j'avais accepté de me soumettre dans cette retraite, mais cela me semblait devoir rester pour ainsi dire "subliminal" dans le commentaire que j'en donnais. Mais bien sur, la lumière ressort inévitablement ! :)

      Merci pour ce lien à cet article que je ne connaissais pas, et qui met en effet fort bien en lumière la nature de cette voie. J'en soulignerai pour ma part les mots suivants:

      "C'est ce qui se passe quand on est dans la présence des choses : on redevient comme un enfant qui s'émerveille de tout! Cette forme de yoga est vraiment très subtile parce qu'il y a à la fois pratique et non-pratique. C'est ce qui est difficile à comprendre. Il y a une liberté totale, une absence de règle, un espace infini, et en même temps il y a une discipline. En fait, on ne demande rien d'autre que d'avoir conscience. A partir du moment où tu as conscience, tous les commandements, toutes les éthiques sont limitatives. C'est aussi ce qui est mal compris dans notre tradition tantrique. Les gens disent qu'il n'y a ni éthique ni règles, que c'est donc une voie totalement anarchiste, juste une sorte d'hédonisme. Mais ce n'est pas du tout ça. Au contraire, c'est parce qu'il y a la conscience qu'il n'y a pas de règles. Et sans conscience aucune pratique ne porte ses fruits. (...) Le yoga n'est qu'une affaire de conscience."

      C'est dans cette liberté et cette insistance sur la valeur suprême de la conscience que nous retrouvons nos chers alchimistes d'Occident, ainsi que dans la valeur profondément initiatique qui est accordée au féminin...

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  8. Bonjour Jean,

    Je souhaite préciser que dans mon commentaire j’ai noté « pour pouvoir l’aimer comme part de la totalité VÉCUE » et non pas « comme part de la totalité PERDUE » comme tu l’as retranscrit dans ta réponse.
    À mes yeux, la totalité correspondant à ce que chacun peut vivre selon les données de vie qui lui sont propres individuellement est différente de ce qu’est "la totalité perdue" dont on ne sait, finalement, pas grand chose.

    Amezeg

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